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 Entre ici-bas et l’au-delà

« Ô les humains !

Les mortels des mortels !

Les figurants sur la liste des prochains partants de ce monde,

Si beau et si vilain,

Si propre et si sale

Si doux et si amer !

Les voyageurs en attente pour un voyage sans retour,

Ni détour !

Un voyage de destination incertaine !

Ô l'Homme !

L’homme n'est vraiment rien si seulement on le savait !

Pense à ce jour où on se posera des questions, à savoir :

Où son enterrement aura lieu ?

Ici où chez lui au village ?

Était-il marié ?

Avait-il des enfants ?

L'aîné à quel âge ?

Ô l'Homme !

Pense à ce jour où tu deviendras une matière inerte,

Futile et pourrissable !

Où on ne t’appellera plus par ton nom, plutôt le cadavre !

Où on te traitera à l'aide de formol en attendant ton enterrement,

Dans un cimetière déjà saturé de corps nouveaux et anciens,

Un cimetière où les morts ne se reposent jamais parce que l’environnement est bruyant,

Parce qu’ils sont entassés les uns sur les autres faute d’espace disponible,

Ils entendent et trouvent gênant ce que racontent les riverains,

Ils dansent, malgré eux, au rythme des chansons qu’ils entendent de loin des habitations voisines,

Ils pleurent abondamment et atrocement lorsque le cimetière se transforme en un lieu de rencontre des amoureux nuitamment,

Un lieu de consommation de drogues dures par les jeunes !

Alors qu’ils étaient comme nous, mais on sera comme eux, sans doute !

Pense à ce jour où tes narines seront bouchées de coton pour empêcher l'écoulement de féculents de tes entrailles,

Et ceci n’est que la partie visible de l’iceberg !

Les laveurs des corps dans les morgues, essentiellement masculins, en savent plus !

Ô l'Homme !

Pense à ce jour où tout sera fini pour toi et pour toujours !

Ce jour où tu t'en iras seul en laissant tout derrière toi,

Quand la nouvelle fatidique tombe, voilà ce qui se dit :

Pourtant moi je viens de le raccrocher au téléphone !

N’est-il pas encore en ligne ?

Voilà son dernier chat avec moi !

Il était avec moi hier dans un bar à café de la place !

Comment cela est arrivé ?

Est-il mort de quoi ?

Est-ce par suite d’une crise cardiaque ou diabétique ou d’un AVC ?

Toutes ces interrogations se terminent par quoi, c’est : Paix à son âme !

Que le paradis soit sa demeure, même si le défunt était un kafr avéré,

Un méchant redoutable,

Un sournois,

Quelqu’un qui priait juste pour tromper la vigilance de ses semblables !

Mais le voilà bien lavé et enseveli dans un drap,

Les pieds et mains étroitement liés au reste du corps par une corde,

En attendant le départ de la morgue pour le lieu de recueillement prévu,

Puis c'est la prière funèbre,

Ensuite, c'est le départ pour le cimetière délabré, herbeux, boisé, osseux d’ossement humain, boueux en saison des pluies et poussiéreux en saison sèche !

Et c’est le voyage proprement dit !

Le tourisme en au-delà commence alors pour le défunt !

Un voyage où on ne raconte pas ce qu’on voit ni subit !

Ce qui est tout de même effroyable, c’est qu’il n’y aucune nouvelle venant de l’au-delà !

Il n’y a non plus d’échappatoire au cas où les serviteurs de l’autre monde ne sont pas accueillants !

Le suspense est éternel !

Aux funérailles, on parlera des bons actes que l'homme a eu à poser au cours de son existence.

Au départ de l'ambulance, des cris éclateront aussitôt dans la foulée chez les femmes particulièrement,

Ils deviendront graves, intenses et sporadiques, au regard du rôle qu’il jouait au sein de sa communauté.

On entendra également dans la foulée ceci :

Woyi n’na ! Oh mon Seigneur ! Oh mon bien-aimé ! Oh mon bienfaiteur !

C’est toi qui pars aujourd’hui pour me laisser ici avec autant d’enfants !

Qui s’occupera d’eux à ton insu ?

Qui pour leur acheter des tenues et fournitures scolaires à l’ouverture prochaine des classes ?  

Qui va les aimer comme toi, en essuyant leurs larmes lorsqu’ils pleurent ?

Si le défunt avait la possibilité de répondre à ces questions, il dira simplement ceci : Dieu suffit comme soutien pour les orphelins et les opprimés !

Les hommes, quant à eux, moins émotionnels que les femmes, pleurent intérieurement et discrètement aux funérailles, et parfois en différé.

Un repas funèbre est alors vite fait dans la famille mortuaire,

Souvent garni de viande de bœuf offert par les beaux-parents !

Les participants aux funérailles s’en servent et prient pour le repos de l’âme du défunt ou de la défunte.

Après tout, place aux rigolades, comme pour dire qu’après la tempête, c’est le beau temps !

C'est la connexion à l'internet,

Ce sont des publications sur des réseaux sociaux avec en gros plan l’acronyme : RIP, qu’on colle sur la photo du défunt ou de la défunte !

Et à la minute, l’humanité tout entière est informée du départ de l’homme de ce monde,

Si grand et si petit !

C’est ce jour qu’on se rend compte qu’il n’y a pas d’homme fort, plutôt c’est  le moment qui est fort !

L’homme disparaît, mais ses œuvres demeurent, qui feront parler de lui pour toujours !

Toi qui n'imagine que du mal pour ton prochain,  sais-tu que ce jour-là arrivera ? Ce jour où tu t'en iras tout seul, tout en laissant tout derrière toi. Bref, comparativement aux décennies passées, les funérailles servaient un lieu d’expression réelle de compassion pour le défunt ou la défunte. Aujourd’hui, c’est la présence physique qui compte. C’est l’ère du numérique. Le mort et le cimetière n’effrayent plus personne, même les gamins et gamines !  

Pour bien se séparer de ce monde, il faut travailler pour soi-même,  pour les autres et pour ton pays, comme si tu ne mourras pas, et avoir peur de Dieu et du péché, comme si tu ne finiras pas la journée en vie. » 

 

Auteur: Dr Mory Mandiana DIAKITE